
DES UNIVERS RICHES ET EXPLOITABLES À VOLONTÉ
1. Le paradoxe des personnages, iconiques et proches du spectateur
À première vue, ce qui fait passer le personnage du statut de « héros » à celui de super-héros, c’est la dimension déifiée que l’on lui attribue. Parce qu’ils disposent de capacités, voire même de pouvoirs défiant l’entendement, cela tend à les placer au-dessus du genre humain. Pourtant tout n’est pas aussi schématique. Il existe bien sûr des personnages qui semblent au-delà de notre condition d’être humain.
a) Des dieux parmi les hommes
# Superman
Au-delà de son aura christique - que le réalisateur Zack Snyder a choisi de mettre en avant dans Man of steel, 2013 -, Superman fait tout pour demeurer un humain normal derrière le masque de son alter ego, le journaliste Clark Kent. Derrière son côté peu adroit, gaffeur, presque lâche et faible, il nous permet de nous projeter à travers lui, bien que l’on ait conscience, en tant que spectateur, de sa face cachée et aussi de sa réelle toute puissance.
« Je trouve que toute cette mythologie qu’il y a autour des super-héros est fascinante. Prenons par exemple mon super-héros préféré, Superman... Pas trop terrible comme BD, pas géniale au niveau du dessin... Mais la mythologie, la mythologie, elle, est tout à fait géniale, elle est brillante ! [...] Alors un truc de base de la mythologie du super-héros, c’est qu’il y a le super-héros, et puis il y a son alter-ego. Batman est en réalité Bruce Wayne, Spider-Man est en réalité Peter Parker... Quand il se lève le matin, il est Peter Parker.Il faut qu’il mette un costume pour devenir Spider-Man, et c’est sur ce point très caractéristique que Superman se différencie des autres. Superman n’a pas eu à devenir Superman ! Quand il est venu au monde, il était Superman ! Quand Superman se lève le matin, il est Superman ! Son alter ego, c’est Clark Kent ! on costume avec le grand S rouge, c’est la couverture dans laquelle il était enveloppé bébé, quand les Kent l’ont trouvé, c’est ça, sa tenue d’origine. Lorsque Kent met les lunettes et le costard, ça c’est un déguisement. Ça, c’est le costume que Superman met pour donner le change. Clark Kent est l’image que Superman a de nous et qu’est-ce qui caractérise Clark Kent ? Il est faible, il doute de lui-même, c’est un lâche ! Il est la critique que Superman fait de toute l’humanité ! »
Bill, Kill Bill Volume 2, Quentin Tarantino, 2004.
Quand on voit dans Man of Steel de Zack Snyder, le jeune Superman qui choisit de laisser mourir son père adoptif Jonathan Kent, emporté par une tornade plutôt que de voler littéralement à son secours, et ainsi ne pas dévoiler sa véritable nature extraterrestre, c’est toute sa part humaine, et non divine, qui s’exprime dans cette scène. Le spectateur, à l’instar du personnage, assiste impuissant à la tragédie comme n’importe qui en temps normal, démuni face à la catastrophe. L’identification est permise, chacun vit les péripéties d’un scénario selon sa propre expérience de la vie. Avec cette scène, le réalisateur recrée un lien entre le super-héros invincible et le simple mortel que nous sommes, nous autres spectateurs.
# Spider-Man
S’il est un vrai héros qui nous est proche, c’est Spider-Man. Par son caractère, sa personnalité et le fait que son identité civile - par opposition à son identité de super-héros - soit celle d’un collégien/lycéen, fait appel en nous à notre propre expérience de l'adolescence. Spider-Man est l’incarnation de la jeunesse enthousiaste qui cherche à comprendre ses pouvoirs. Il est la représentation du passage à l’âge adulte.
« Oh Peter... Ce sont là les années où un gamin commence à se transformer en l’homme qu’il sera pour le reste de sa vie. Faut pas te transformer en n’importe qui ! Ce type, ce Flash Thompson, a probablement mérité ce qui lui est arrivé, mais le fait que tu sois capable de le battre, ne te donne pas le droit de le faire ! Ne l’oublie pas, un grand pouvoir implique de grandes responsabilités ! »
L’Oncle Ben à Peter Parker, Spider-Man, Sam Raimi, 2002.
En cela, en dehors de son activité super-héroïque, ses inquiétudes sont tout ce qu’il y a de plus naturel chez les adolescents - premiers sentiments, premières relations, les ennemis que l’on se fait -. De par son cadre d’action également, il ne joue pas dans la même catégorie que ses camarades Iron Man, Thor ou Captain America, ses préoccupations sont plus terre-à-terre. Cela parle plus facilement à un jeune public, car à cet âge-là, comme le Tisseur de toile, chacun découvre le poids des responsabilités et du pouvoir que l’on peut avoir sur les autres.
# Cyborg
Personnage récemment révélé dans les deux versions de la Justice League de Joss Whedon - pour la première sortie en 2017 - et de Zack Snyder - sortie en 2021 - le jeune Victor Stone a été victime d’un accident qui l’a laissé avec des dégâts physiques irrémédiables. Renforcé par son père, Silas - scientifique et ingénieur de génie - avec de multiples organes prothétiques et des technologies diverses, il en devient une entité cybernétique connectée à l’ensemble des réseaux informatiques. Un « dieu du Cyberespace » serait une bonne définition.
« - Victor, Victor, tu n’es pas dans une cage ici ! Tu as encore toute la vie devant toi ! C’est ce que ta mère aurait voulu... Que tu vives ta vie.
- Si t’étais venu... Maman serait toujours en vie !
- Bon écoute, rien ne t’oblige à me redonner une chance, mais donne-t-en une. Et si tu ne supportes plus de me regarder... Essaye d’écouter (il pose un microphone et part)...
(Lecture du microphone)
Victor, les capacités que tu as acquises, ta force physique, ce n’est que le sommet de l’iceberg. Le sommet du sommet ! De l’univers composé de uns et de zéros, tu es le maître absolu. Aucun pare-feu ne peut t’arrêter. Aucun encodage ne peut te résister. Nous sommes tous à ta merci Victor.
Sources d’énergie, télécommunications, nos vies sont régies par des réseaux numériques complexes qui se plieront sans mal à ta volonté. Tu auras littéralement le sort du monde entre tes mains. Tout son arsenal nucléaire, tu pourras le déclencher d’une seule pensée ! Les systèmes monétaires de la planète et ses interactions complexes te sembleront aussi facile à manipuler qu’un jeu d’enfant ! La question... Non... Le défi... Ce ne sera pas d’agir, mais de ne pas agir. De ne pas voir. C’est le poids de cette responsabilité qui déterminera qui tu es et qui tu choisis d’être.
Mais... Victor, ça, c’était des paroles et des raisonnements de scientifique. C’est comme ça que je t’ai toujours parlé. Alors, laisse-moi trouver les mots, qui viennent du cœur, pas ceux d’un scientifique, ceux d’un père. »
Silas Stone à « Cyborg », Zack Snyder’s Justice League, Zack Snyder, 2021.
Dans la version du réalisateur Zack Snyder, à l'inverse de celle de Whedon, le personnage est beaucoup mieux exposé et découvre encore ses pouvoirs. Il est également en position de conflit avec son père qu'il juge responsable de son état monstrueux. L'opposition à la figure du père soit par rejet, soit par rébellion est un cas de figure que tout spectateur a un jour ressenti. Si son apparence et ses pouvoirs placent le personnage à un niveau au-delà de l'entendement de l'être humain, les problématiques auxquelles il fait face sont plus qu'humaines.
b) Des hommes parmi les dieux
Parmi le panthéon super-héroïque, certains jouissent d'une image tellement glorifiée, que l'on aurait tendance à vite oublier que derrière cette façade immuable, confiante et imperturbable, il n'y a en réalité qu'un homme sans pouvoirs, dont les ressources lui permettent de se hisser au-dessus du commun des mortels.
# Batman
Batman est un super-héros sans super-pouvoirs. Même les novices en comics connaissent cet état de fait. Son statut social de milliardaire le place déjà au-dessus du reste du monde. Grâce aux technologies dernier cri, produites par sa propre société, dont il use dans sa lutte contre le crime, son rayon d'action est démultiplié.
« Aucune juridiction ne limite Batman ! »
Le Joker, The Dark Knight, Christopher Nolan, 2008.
Un personnage inatteignable, aux yeux du monde, peut s'apparenter à un dieu. Dans une récente adaptation animée, Ligue des Justiciers : Guerre de Sam Liu (2014), Wonder Woman qualifie même Batman comme un « avatar » du dieu Hadès. Si on se réfère à l'angoisse et la peur sur lesquelles il joue, beaucoup du côté des criminels ne voient pas en lui un homme. Son emblème, ses apparitions, ses techniques de combats - fruit d'une vie d'entraînement, de voyages, d'études - sont autant de mises en scène qui servent à son image.
« - Vos super-pouvoirs, c'est quoi déjà ?
- Je suis riche ! »
Barry Allen et Bruce Wayne, Zack Snyder’s Justice League, Z. Snyder, 2021.
Mais derrière cette façade demeure la figure endeuillée d'un orphelin qui a perdu ses parents à 8 ans. C'est cet événement traumatique qui poussera le personnage à devenir Batman - motif toujours présent dans les multiples adaptations, du Batman de Tim Burton (1989) à Batman v Superman de Zack Snyder (2016), en passant par Batman Begins de Christopher Nolan (2005) - et même si le spectateur ne connaît pas ce statut tragique, il peut faire preuve d'empathie et comprendre les motifs du personnage à vouloir devenir un justicier.
# Iron Man
À l'instar de Bruce Wayne, le milliardaire et vendeur d'armes Tony Stark - désormais indissociable du visage de Robert Downey Jr. son interprète pendant 11 ans - est un individu sans super-pouvoirs. Dans le film de Jon Favreau, le « Marchand de Mort » est blessé et enlevé par des terroristes en Afghanistan.
Avec son inventivité, il se crée une armure volante pouvant le maintenir en vie pour s'évader. Voulant réparer ses torts envers le Monde, il décide de perfectionner sa création. Depuis, les armures d'Iron Man présentées dans les films font rêver et inspirent les spectateurs par leur complexité et leur dimension fantastique.
Dans la réalité, ces concepts de technologies ne sont que purs fantasmes, mais la force et le pouvoir que ces objets renferment peuvent positionner le personnage d'Iron Man comme un dieu, un « dieu de l'armement ». Pourtant derrière sa personnalité impertinente, excentrique, il y a une véritable faille dans l'armure déifique de Tony Stark, il reste un homme.
« - Vous jouez au dur sous votre armure !
Si on vous l’enlève, vous êtes quoi ?
- Un génie, playboy, philanthrope, milliardaire ! »
Captain America et Iron Man, Avengers, Joss Whedon, 2012.
Traumatisé au cours du film Avengers de Joss Whedon (2012) par sa rencontre avec des puissances extraterrestres, le personnage est sujet à la dépression et l'alcoolisme, en proie à un stress post-traumatique important - sujet traité dans le film Iron Man 3 de Shane Black (2013), sequel du film cité précédemment -. Autant de vulnérabilités humaines derrière un personnage qui nous semble si lointain et inaccessible, cela diminue grandement l'aura déifique du personnage et le rend plus proche de nous que nous ne le pensons.
# Shazam
Un véritable dieu en apparence, mais à l'intérieur un simple enfant : c'est le concept proposé par le super-héros Shazam, dont l'identité réelle est Billy Batson, un garçon de 10 ans.
Pensé à l'origine comme une parodie de Superman - à la différence de ce dernier qui tire ses pouvoirs du soleil, ceux de Shazam viennent de la magie -, le personnage est une incarnation personnifiée de différents dieux antiques.
En prononçant le mot « SHAZAM » - S pour Salomon, H pour Hercule, A comme Atlas, Z comme Zeus, A comme Achille et M comme Mercure - le jeune Billy obtient sagesse, force, endurance, foudre, courage et vitesse, mais il conserve sa personnalité enfantine.
Pour le spectateur, l'identification passe explicitement par la réflexion que petit, tout individu souhaite devenir quelqu'un d'autre, acquérir des pouvoirs extraordinaires... Mais qui aurait la maturité pour les utiliser ?
Adapté pour la première fois dans le film éponyme de David F. Sandberg (2019), le super-héros met en évidence la dualité de par sa condition ; Billy Batson est un orphelin, un fugueur, qui cherche à savoir d'où il vient et il hérite de super-pouvoirs qu'il utilise d'abord égoïstement sans en mesurer la portée. C'est là tout le problème de notre condition humaine : nous obtenons des capacités, des attributs exceptionnels mais, dès lors qu'il faut s'en servir, nous nous comportons comme des enfants. Pressés, impatients, on laisse libre cours à nos instincts, à nos caprices sans en saisir les conséquences.
Les origines et les caractéristiques des super-héros dans les films peuvent nous faire rêver, nous inspirer mais si cela est possible, c'est parce que les comics dont ils sont adaptés constituent une source inépuisable dans la mise en scène de ces personnages.
2. L’esthétique des comics, une essence pour le cinéma
Les comics, terme employé à la base pour désigner l'ensemble de la bande-dessinée américaine, sont aujourd'hui indéniablement associés aux super-héros. Au cours de leur histoire, ils ont connu plusieurs périodes chronologiques appelées « Âge ». Ces derniers se sont succédé et ont apporté de profondes modifications dans l'esthétique et l'écriture des super-héros, toujours suivant le contexte sociopolitique de leur époque.
Ainsi de 1938 à 1954, on parle de « l'Âge d'Or des comics » qui voit apparaître des super-héros mythiques comme Superman, Batman, Wonder Woman.
Puis de 1956 à 1970, il s'agit de « l'Âge d'Argent », période marquée par la création de Spider-Man, Iron Man, Thor, Hulk, les Avengers. C'est également au cours de cet Âge que la série Batman créée par William Dozier est diffusée à la télévision en 1966, avec Adam West dans le rôle de l'Homme Chauve-souris.
De 1970 à 1985, « l'Âge de Bronze » marque une avancée capitale avec l'introduction de la diversité dans le panthéon super-héroïque.
Des super-héros noirs comme Black Panther ou Falcon arrivent chez Marvel, tandis que Black Lightning et le Green Lantern John Stewart démarrent chez DC. Les femmes commencent à être davantage représentées et ne tiennent plus la place de second rôle, comme les super-héroïnes Tornade - au sein des X-Men - ou Miss Hulk, chez Marvel. C'est sur cette même période que la série télévisée Wonder Woman, créée par Stanley Ralph Ross, avec Lynda Carter dans le rôle-titre est diffusée à partir de 1975. Le Superman de Richard Donner mettant en vedette Christopher Reeve, considéré comme le premier grand film de super-héros, sort au cinéma en 1978.
De 1985 à nos jours, nous sommes dans « l'Âge Moderne ». Pour marquer la transition avec l'époque d'antan dans les comics, DC renouvelle intégralement son univers et sa tonalité avec des arc narratifs sombres comme The Dark Knight, scénarisé par Frank Miller, ou Watchmen, écrit par Alan Moore.
Les comics ont toujours essayé d'être en phase avec l'atmosphère de leur époque. Leurs adaptations à la télévision et au cinéma, si elles arrivent de manière décalée, bénéficient néanmoins d'un corpus varié de cases de comics aux graphismes et aux apparences très diverses. Cela constitue une source d'inspiration intarissable pour les producteurs.
a) Des bases très colorées
Dès leurs premières exploitations, au cinéma comme à la télévision, les adaptations de super-héros se sont contentées de suivre le ton, les couleurs, la personnalité enthousiaste des personnages telle qu'écrite dans les comics de leur temps.
La série Batman, avec Adam West dans la peau du Chevalier Noir, diffusée à partir de 1966 puise directement son style dans l'esthétique de « l'Âge d'Argent des comics » - 1956 à 1970 - dont elle est contemporaine.
Le costume du personnage affiche des tonalités de bleu et gris plus claires et prononcées que dans sa version « l'Âge d'Or ». Cette exubérance de couleurs vives est l'apanage de la série, compte tenu de sa dimension humoristique et très décalée. La présence d'onomatopées sous forme de bulles de comics, lors des scènes de bagarre, appuie la référence à la bande dessinée d'origine.


Un autre exemple de cette période ultra colorée est illustré par la série télévisée Wonder Woman avec Lynda Carter dans le rôle de l'Amazone guerrière. Une fois encore, l'adaptation reste fidèle au rendu visuel du comics originel, celui-ci ayant peu changé entre « l'Âge d'Argent » - antérieur à la diffusion de la série - et « l'Âge de Bronze » - période dont la série est contemporaine -. Le costume de l'Amazone est rutilant.
C'est au cours de ce même Âge que débarque sur le grand écran, pour la première fois, la première adaptation considérée comme le premier film de super-héros : Superman, réalisé par Richard Donner et sorti en 1978 avec Christopher Reeve dans le rôle éponyme. Avec un budget de 55 000 000 de dollars, le film réunit des moyens techniques conséquents pour amener une dimension plus impressionnante dans l'univers des super-héros aux yeux des spectateurs.
Des éléments internes comme le design du mythique costume bleu, rouge, et jaune - à l'image du comics -, ou extra-diégétiques comme les thèmes musicaux - épiques et romantiques - composés par John Williams, demeurent de nos jours un modèle, une référence dans l'adaptation des super-héros au cinéma.
Dans les exemples cités, la mise en scène, tant dans le choix du cadre et de la lumière reste assez simple, lumineuse à l'instar des cases dans les bandes dessinées. Au niveau des costumes, avec notre œil moderne, on remarque plus l'absence de détails et de textures qu'autre chose.
b) Un revirement de ton chez DC
Du début des années 90 à la veille du nouveau siècle, les adaptations des comics, tant au cinéma qu'à la télévision, ont surtout été dominées par les super-héros issus des éditions DC. En 1989, alors que « l'Âge Moderne » des comics vient juste de débuter, sort au cinéma le Batman réalisé par Tim Burton. Ce film voit l'univers du personnage subir de profondes transformations. Comme évoqué un peu plus tôt, chez DC Comics, tous les super-héros connaissent d'importants remaniements - tant dans leur origines, leurs pouvoirs ou même leurs apparences - dans la transition entre « l'Âge de Bronze » et « l'Âge Moderne » avec l'arrivée de nouveaux auteurs notamment. Le ton devient plus sombre, les sujets plus matures, le traitement des personnages est plus dur.
L'arrivée du Batman, tel qu'imaginé par Tim Burton, au cinéma est une conséquence directe de ces évolutions littéraires. Le costume porté par Michael Keaton suffit pour résumer cette transformation : très sombre, seul le jaune du symbole demeure, le design est très fidèle aux comics - surtout les oreilles du masque -. Burton réalise son Batman - ainsi que sa suite Le Défi (1992) - en le mêlant à son propre univers visuel : des décors à la géométrie très compliquée, un travail sur les ombres mis en avant, le jeu sur la présence de gris dans les paysages. Cela renforce la dimension ténébreuse du personnage à chacune de ses apparitions.


Ce virage esthétique a depuis impacté chacune des adaptations du Chevalier Noir, jusque dans les séries animées, dont celle réalisée par Bruce Timm et Paul Dini sorti juste après le premier opus de Burton. Le ton plus « dark » - et par là plus mature - a également gagné les autres productions super-héroïques DC15 - à des degrés divers, les animés Superman L'Ange de Métropolis ou La Ligue des Justiciers sont sérieux mais plus optimistes -.
Le parti-pris de la noirceur, tant dans la forme que le fond - est un point essentiel que l'on retrouvera dans la trilogie The Dark Knight - consacrée à Batman - réalisée par Christopher Nolan entre 2005 et 2012, que nous aborderons dans une autre partie.
Un pas supplémentaire dans les adaptations de super-héros DC est franchi en 2013 avec Man of steel de Zack Snyder, reboot du personnage de Superman, dont les producteurs espèrent se servir comme tremplin pour lancer un univers étendu, à l'image de Marvel - et ainsi concurrencer le Marvel Cinematic Universe qui comptait déjà 7 films de son côté -.
Plus question ici de simples collants moulants et hauts en couleurs, Superman réaffirme ses origines extraterrestres et son statut de surhomme par son costume. Le jaune en arrière-plan du symbole se distingue à peine, le bleu est plus sombre et la cape rouge - en bonne partie réalisée numériquement dans le film - est plus amble, plus lourde, moins éclatante. Les jeux de textures du costume sont aussi beaucoup plus visibles. Du point de vue physique, les muscles sont plus saillants.


Snyder se réapproprie le personnage avec ses codes de mise en scène : des couleurs sombres et désaturées, des zooms dans l'action, un temps qui dilate la vitesse, des coups accentués, et bien sûr ses ralentis esthétiques qui lui sont chers. Ce sont là autant d'éléments que l'on peut retrouver dans le matériel de base, les cases de comics - de « l'Âge Moderne » entre autres -.
Il en sera de même lorsque Snyder réintroduit Batman, et Wonder Woman - pour la première fois au cinéma - au sein de l'univers initié par Man of Steel dans Batman v Superman (2016). Fini la mention jaune autour du symbole - pour le Chevalier Noir - ou les couleurs éclatantes - pour l'Amazone - de l'Amérique.
Wonder Woman hérite d'une véritable tenue antique aux reliefs complexes et désaturée en couleurs. L'exosquelette de Batman reprend les courbes métalliques de l'armure tel que dessiné par Frank Miller dans la collection The Dark Knight Returns.
Snyder a établi une base graphique pour l'univers étendu que DC voulait lancer au cinéma. Devant le succès de la formule Marvel sur des adaptations de super-héros, misant plus sur un ton humoristique et une mise en scène plus impersonnelle et colorée, le studio Warner a entrepris de se détacher de cette base.
Le retour ponctuel de Snyder, qui est parvenu à finalement terminer sa version du film Justice League (2017) - sortie sous le titre de Zack Snyder's Justice League (2021) -, a donné naissance à une dénomination de la part des fans, le Snyderverse. Ce néologisme, employé à travers le monde, veut induire dans l'esprit des spectateurs les caractéristiques de style propres au réalisateur, que ce dernier a réussi à fusionner avec l'univers DC au cinéma.

c) Marvel s’inspire dans les années 70-80
Au cinéma, les super-héros de l'écurie Marvel ont, la plupart du temps, été représentés plus colorés que leurs homologues de chez DC.
Au début des années 2000, alors que Marvel veut redorer son blason avec des personnages comme Spider-Man ou les X-Men, ce n'est pas forcément visible. En effet, dans la première trilogie de la franchise mutante réalisée par Bryan Singer, les costumes, ou plutôt les uniformes des personnages se voient dépouillés de toutes leurs nuances au profit de combinaisons entièrement en cuir noires, bien loin des tenues hautes en couleur de la bande dessinée.
A contrario, sur cette même période, la trilogie Spider-Man de Sam Raimi conserve les traditionnels rouge et bleu du comics dans le rendu de son personnage. Le bleu, qui ne tire jamais vers le fluo ou le vif, varie selon la lumière au cours des films, sur certains plans il ressort presque noir.

À partir des années 2010, quand Marvel Studios commence à adapter ses super-héros membres des Avengers - Iron Man, Thor, Captain America, Hulk - et que la Fox reboote sa franchise X-Men - avec un nouveau casting et une nouvelle chronologie -, les inspirations claires et colorés des comics se ressentent à travers le travail sur les costumes.
Dans Captain America : The First Avenger de Joe Johnson, l'uniforme du « porte-bannière étoilé » est une adaptation littérale du costume de « l'Âge d'Or » et de « l'Âge d'Argent ». Le bleu, blanc, rouge sont rendus plus vif dans Avengers de Joss Whedon, pour appuyer la référence.

« Parmi les personnes présentes, laquelle a) porte un costume moulant flashy qui b) sert pas à grand-chose ? »
Iron Man, Avengers, Joss Whedon, 2012
De leur côté, les « nouveaux » X-Men, à partir du film X-Men : Le Commencement - First Class en version originale - retrouvent les nuances colorés, dont le bleu marine et le jaune vif, de « l'Âge d'Argent » des comics. Le travail sur la lumière dans la mise en scène pour coller aux différentes époques des films - les années 60, les années 70, les années 80 - renforce la vivacité des costumes.

Le retour à des univers colorés vient s'immiscer dans des mythologies nouvelles comme dans les films consacrés aux Gardiens de la galaxie réalisés par James Gunn (2014 et 2017). Outre la multitude de couleurs, l'iconisation de ces nouveaux personnages passe par une plongée dans l'ambiance musicale des années 70-80 - illustré diégétiquement par le walkman que porte le personnage de Star-Lord22 - qui vient souligner la dimension rétro de cet univers.


Le personnage de Thor - le dieu de la Foudre - a vu récemment l'esthétique de son univers passé par le prisme des années 70-80. En trois films, le super-héros a beaucoup cherché son style, d'abord sérieux et fantastique avec le premier opus, puis plus impersonnel avec le deuxième volet. C'est finalement avec le troisième film Thor : Ragnarok, réalisé par Taïka Waititi, que le guerrier mythologique ose la carte de l'humour et offre un visuel plus riche en couleurs, au plus près de ce que les Gardiens de la Galaxie ont proposé dans leurs films. Il use à son tour de thèmes musicaux tirés des années 70-80, notamment The Immigrant Song de Led Zeppelin dont les paroles abordent la mythologie nordique - cohérent avec l'univers du dieu scandinave du tonnerre -.
Le film réussit à faire la jonction entre le présent et le passé, entre le rétro et la science-fiction. Dans le film, cela est notamment visible à travers le personnage de Valkyrie - de son vrai nom, Brunehilde - qui porte au début du film son armure telle qu'elle est dessinée dans les comics de « l'Âge Moderne » avant de changer pour une version plus vive et chromée, similaire à sa version de « l'Âge de Bronze ».


C'est grâce à des personnages dont les histoires demeurent proches de l'expérience de vie du spectateur, et à des choix esthétiques basés sur le support concret des comics, que les super-héros réussissent à passer de la page blanche à l'écran blanc. Cela suppose néanmoins l'existence d'un système économique et cinématographique qui puisse soutenir ces personnages dans leurs différentes adaptations.