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L’ASCENSION D’UN SYSTÈME ÉCONOMIQUE ET CRÉATIF

1. Recours à des dernières technologies performantes

Dès lors que l’on pense « super-héros », et par extension, celles et ceux nés dans les pages des comics américains, en premier lieu, ce qui vient d’abord à l’esprit, c’est la multitude de pouvoirs - de « super-pouvoirs » - qu’ils possèdent.

 

Notons que cela n’est pas un pré-requis, ni de la part du spectateur, ni au sein de leur univers narratif pour les qualifier de héros. Dans le panthéon des super-héros issus des deux grandes licences Marvel ou DC, il existe de nombreux personnages qui ne disposent pas de super-pouvoirs. Parmi les exemples les plus connus, on peut citer Batman, Green Arrow - chez DC - ou Iron Man, Hawkeye - chez Marvel -.

 

« Tu nous connais, nous les justiciers milliardaires, nous aimons beaucoup nos jouets ! »

Oliver Queen, Arrow (série 2012), saison 1, épisode 5, 2012.

 

Si de prime abord, ces personnages-ci semblent attrayants aux yeux des producteurs, c’est d’abord et avant tout du fait de la facilité de leur exécution, pour leur mise en scène audiovisuelle. Les super-héros qui ont recours à des gadgets technologiques semblent plus faciles à aborder pour les studios, car les personnages dotés de super-pouvoirs induisent forcément une utilisation des effets spéciaux plus ou moins forte et poussée à l’extrême afin d’assurer une vision grandiose et vraisemblable pour le spectateur.

 

a) De la Motion Capture à la Performance Capture

Les comics font appel à notre imaginaire et dévoilent une mythologie variée. Dès lors, la représentation de certains personnages amène les réalisateurs à repenser leur mise en scène, quitte à entièrement les concevoir numériquement.

 

Ce choix n’est pas sans poser quelques problèmes qui doivent être anticipés lors de la pré-production et réglés lors du tournage. À partir du moment où un personnage entièrement numérique doit remplir l’espace, le cadre, la mise en scène et l’interaction avec les comédiens « de chair » - présents physiquement sur le plateau - sont à travailler comme une chorégraphie. C’est alors un travail double qui s’effectue car il est à la fois technique et artistique. Pour les comédiens, il s’agit de jouer l’interaction avec l’absent.

 

L’un des plus célèbres exemples dans le domaine est le film Jurassic Park de Steven Spielberg qui a amené la fusion entre le travail des animatroniques et des effets visuels incrustés en post-production. Cette méthode prévaut du fait de la dimension animale des dinosaures et des tailles démesurées.

 

Dans le cadre des films de super-héros, il est plus souvent question de revenir « à hauteur d’homme » si on peut dire. Des personnages imposants ou à la carrure « méta » humaine ne pourraient bien rendre à l’écran s’ils n’étaient que des animatroniques. Fort heureusement, une technique a commencé à percer à la fin des années 80 - début des années 90 : la motion capture.

 

« Ce procédé permet d’enregistrer par codage numérique les positions d’objets ou d’êtres vivants, pour en gérer ensuite la réplique virtuelle (l’avatar) sur ordinateur. »

 

Comme son nom l’indique, il s’agit de rendre au plus près possible et de manière la plus convaincante, les mouvements d’un comédien sur un squelette numérique créé par ordinateur. Lequel va pouvoir permettre de créer un personnage à la morphologie complètement atypique mais dont l’énergie corporelle proviendra d’un élément physique, ici le corps du comédien.

Parmi les personnages précurseurs qui ont posé les bases de cette technique de capture et d’incrustation, nous pouvons citer le prêtre Imhotep dans le film La Momie de Stephen Sommers dont le corps momifié se recompose au fur et à mesure du film jusqu’à ce que le personnage reprenne une apparence humaine normale - justifiée par le scénario -.

Ensuite, il y eut un personnage, ou plutôt un homme, qui à travers son travail posa les jalons de ce que la motion capture allait pouvoir apporter au milieu du cinéma dans les genres de la science-fiction et du fantastique, Andy Serkis. Ce comédien fut propulsé avec le personnage de Gollum dans la trilogie du Seigneur des Anneaux de Peter Jackson. C’est l’intégralité des mouvements de son corps, mais aussi de ses expressions faciales, qui sont alignés sur le design numérique de ce personnage au rendu entièrement informatique.

La nouveauté a résidé, ici, dans la captation précise des points d’expression du visage de l’acteur. La performance capture était née :

 

« La Performance Capture permet de retranscrire, non plus seulement le mouvement physique, mais également la performance d’acteur du comédien, couvert de capteurs photosensibles des pieds à la tête. À ces marqueurs permettant aux 200 caméras spéciales surplombant le plateau de tournage de constituer un squelette numérique en mouvement, sur lequel les animateurs peuvent greffer une peau digitale et un avatar de synthèse, s’ajoute une petite caméra numérique, qui permet de retranscrire le plus fidèlement possible la prestation faciale du comédien. »

Depuis, Andy Serkis a fait basculer le jeu des comédiens dans une autre dimension. S’il a continué principalement à exprimer son talent par cette technique, comme à travers les personnages de King Kong, dans le film éponyme de 2005, de César dans le reboot de La Planète des Singes, le Capitaine Haddock dans Les Aventures de Tintin, ou dernièrement Snoke dans la Postlogie Star Wars, il a ouvert la voie pour d’autres acteurs comme Bill Nighy - Davy Jones, le capitaine maudit à la tête de pieuvre dans Pirates des Caraïbes -, et Benedict Cumberbatch - Smaug dans la trilogie Le Hobbit -.

 

Les rendus des textures et des mouvements de ces personnages ne sont jamais remis en question, même aujourd’hui.

 

Et c’est tout naturellement que, fort d’une technologie qui a maintenant fait ses preuves et s’est perfectionnée, le genre super-héroïque a pu en bénéficier à son tour.

Car si les films de super-héros ont pu attendre après les techniques et la technologie, c’était un mal pour un bien car le travail accompli a produit des personnages crédibles et expressifs à s’y méprendre.

b) L'évolution de Hulk, le géant vert de colère, dans le Marvel Cinematic Universe

Après avoir lancé son univers étendu avec un film dédié au super-héros Iron Man, Marvel Studios décide de consacrer une production au personnage de Hulk. Si le géant vert est mis en avant dès son film L’Incroyable Hulk de Louis Leterrier en 2008, l’utilisation de la performance capture ne fut pas mise en œuvre avant sa réapparition dans le film Avengers, 4 ans plus tard.

Au départ incarné par Edward Norton dans le film de 2008, le jeu d'acteur était plutôt limité sur le plateau. Habillé avec un gigantesque harnais, pour figurer la transformation de Bruce Banner en Hulk, Norton offrait avec sa présence une marge de manœuvre assez faible. Par l'utilisation de Keyframes en post-production, les techniciens des effets visuels ont pu greffer sur le harnachement que porte l'acteur le squelette numérique de Hulk. Il s'agissait là davantage de motion capture. Pour les traits du visage, la figure de Norton a été entièrement recouvert d'une substance perméable qui fait ressortir chaque pore de la peau, pour ainsi mieux en distinguer les contours. Ce n'est pas encore ce qu'on peut appeler de la performance capture.

 

Dans le film Avengers de Joss Whedon (2012), outre un changement d’acteur - Edward Norton est remplacé par Mark Ruffalo - (et donc du physique de base pour le personnage), la motion capture et la performance capture agissent à l’unisson et permettent de faire figurer dans le cadre, la transformation d’un corps simple en une masse imposante de muscles dont le poids et la texture sont palpables. La technique est à la fois au service du film et au service du personnage, qui rappelons-le, fait face à une transformation déshumanisante à chaque moment de stress ou de colère. La performance capture qui a mis un pied dans cet univers par le biais de ce personnage, complexe et démesuré, permet de lui rendre justice.

 

c) L'arrivée de Thanos, le titan fou, face aux Avengers dans le Marvel Cinematic Universe

 

D'abord interprété par Damion Poitier pour les besoins d'une scène post-générique du film Avengers de Joss Whedon (2012), le grand méchant, Thanos, adversaire des Avengers durant les onze premières années du MCU - de 2008 à 2019 - fût finalement incarné par l'acteur Josh Brolin à partir de 2014. Après le Hulk campé par Mark Ruffalo, c'est l'un des premiers personnages entièrement filmé en performance capture.

 

Cela fait évoluer considérablement le jeu d'acteur, car au-delà de la dimension technique - entre la combinaison et la multitude de capteurs placés sur le visage - elle permet une interaction directe sur le plateau du tournage entre les comédiens. La saisie et la retransmission au plus près possible de la moindre expression, de la moindre émotion faciale que laisse paraître Josh Brolin apporte au personnage une humanité - alors qu'il s'agit d'une race alien ; même humanoïde - qui ne vient jamais remettre en question la suspension consentie de l'incrédulité chez le spectateur. L'existence d'un personnage au-delà du corps de l'acteur, mais aux mouvements, à la démarche, et à la communication convaincante offre de nombreuses opportunités pour de futurs adaptations.

Il existe un contre-exemple à l'utilisation de la performance capture. Dans le film X-Men : Apocalypse de Bryan Singer (2016), l'antagoniste principal, le mutant En Sabah Nur - ou Apocalypse - incarné par Oscar Isaac est représenté à échelle humaine alors qu'il mesure plus de deux mètres dans les comics. Présenté comme un être quasi-déifique, à l'instar de Thanos pour les Avengers, le mutant immortel n'est pas mis en forme grâce à la performance capture, mais avec un costume porté directement par l'acteur et maquillé avec des prothèses. Le rendu palpable du personnage ne fit pas l'unanimité auprès d'une large partie du public - à laquelle je m'inclus - surtout depuis que la performance capture avait ses preuves avec Hulk - dans Avengers (2012) - et Thanos - depuis Les Gardiens de la galaxie (2014) -.

 

DC s'est récemment employé à cette pratique avec certains de ces grands méchants comme dans le film Zack Snyder’s Justice League, mais sans pousser le degré de rendu des visages à la perfection établie par Marvel. Les colosses de ce film - Darkseid et Steppenwolf - bénéficient d'un très bon rendu sur leur musculature, les textures de leur peau et costumes, sans amener à un niveau plus réaliste les traits de leur figure. Peut-être est-ce pour déshumaniser davantage ces personnages - a contrario de Marvel -, une manière simple de renforcer leur statut d'extra-terrestre, face aux super-héros qui les combattent.

2. Une exploitation industrielle progressive devenue puissante

À l'échelle de l'histoire du cinéma, les super-héros sont arrivés à mi-chemin, entre la fin de la Seconde Guerre Mondiale et le début de la Guerre Froide. Pour mettre en perspective les différentes étapes dans la progression des super-héros au sein de l'industrie cinématographique, nous nous appuierons sur le document de l'annexe 1, le tableau des productions.

 

a) Des débuts discrets

L'une des premières adaptations les plus connues est la série Batman, créée par William Dozier et diffusée à partir de 1966. Un long-métrage de ce feuilleton sera également réalisé. Cette production est chapeautée par la 20th Century Fox.

À cette époque, en pleine « Âge d'Argent » des comics, des super-héros - principalement des éditions DC - comme Superman, Batman et Wonder Woman sont déjà bien installés auprès des lecteurs, tandis que Marvel présente pour la première fois ses figures emblématiques comme Spider-Man, Iron Man, Thor, Hulk, les Quatre Fantastiques.
Entre ces nouveaux arrivants et un panthéon encore très petit mais affirmé, il est compréhensible que la confiance des producteurs pour investir dans ces personnages, aussi bien à la télévision comme au cinéma, ne soit pas aveugle.

b) Entre tentatives et tâtonnements

L'entrée dans les années 70 - et le passage à « l'Âge de Bronze » - marque un tournant principalement pour les super-héros adaptés de DC Comics.

Avec la tétralogie Superman, incarné à l'écran par Christopher Reeve, dès 1978, les personnages de Détective Comics29 prennent une avance considérable au cinéma sur La Maison des Idées30. À la télévision, le partage est plus équitable, notamment avec la série Wonder Woman porté par Lynda Carter à partir de 1975, et la série L'Incroyable Hulk où Lou Ferrigno incarne le monstre vert dès 1977.

À la fin des années 80-début des années 90, les adaptations de super-héros DC continuent de mener la partie. Le temps a passé et l'entrée dans « l'Âge Moderne » des comics offre désormais un certain recul sur des personnages apparus au cours des âges précédents. Ainsi la série sur le super-sonique Flash - à la vie civile Barry Allen - débarque à la télévision en 1990 sous les traits de l'acteur John Wesley Shipp32. Superman se voit relayé au petit écran avec la série Loïs et Clark : les Nouvelles Aventures de Superman, porté par le couple Dean Cain et Teri Hatcher, et la série animée, Superman : l'Ange de Métropolis réalisé par Bruce Timm et Paul Dini.

 

Sur la même période, Tim Burton laisse son empreinte sur le traitement et l'esthétique de Batman, le Chevalier Noir. Son influence dépassera le cadre du grand écran à travers les séries animées Batman et Les Nouvelles Aventures de Batman, réalisées par Timm et Dini. Ces productions DC sont toutes manœuvrées par le studio Warner.


Toujours dans l'animation, Stan Lee et Steve Ditko mettront à l'honneur leur personnage fétiche, l'Homme-Araignée avec la série animée, Spider-Man : l'Homme-Araignée.


De manière globale, avant l'avènement du nouveau millénaire, Marvel reste très discret, et se contente d'une ou deux productions aléatoires comme Men in Black par Barry Sonnenfeld (1997) avec le duo iconique Will Smith et Tommy Lee Jones.

c) Un potentiel en mouvement

Le passage au 21ème siècle et le début du 3ème millénaire voit les adaptations Marvel remonter en puissance. Des licences très connues, et désormais suffisamment datées comme Spider-Man ou les X-Men, sont acquis par des Studios très importants de l'industrie américaine comme Sony - pour le premier - et la Century Fox - pour les seconds -. L'impact critique et qualitatif de la trilogie de Sam Raimi (2002- 2007) ou de la saga mutante initiée par Bryan Singer convainquent les producteurs du potentiel cinématographique et industriel des super-héros dans le milieu du divertissement.

L'équipe des Quatres Fantastiques est également portée à l'écran pour la première fois, via la duologie réalisée par Tim Story - Les Quatres Fantastiques (2005) et Les Quatres Fantastiques et le Surfeur d'Argent (2007) -.

De leur côté, les super-héros de l'écurie DC connaissent un léger ralentissement dans leurs productions destinées en salles et préfèrent se concentrer sur les format séries - comme Smallville créée par Alfred Gough et Miles Milar - et dans l'animation - La Ligue des Justiciers (2001-2006) ; Teen Titans (2003-2006) -.

Malgré quelques occurrences, saluées par la critique comme V pour Vendetta de James McTeigue, ou plus mitigées comme Superman Returns de Bryan Singer, toutes deux sorties en 2006, il faut attendre la trilogie The Dark Knight - entre 2005 et 2012 -, reboot de Batman, par Christopher Nolan, pour que DC reprenne confiance. Confiance rapidement ébranlée par le film Green Lantern de Martin Campbell en 2011, accueilli froidement. Au début des années 2010, Warner Bros. Animation continue de produire des contenus pour la télévision. Qu'il s'agisse de la série animée Young Justice ou de long-métrages d'animation en format direct-to-video, c'est-à-dire directement disponibles à la vente au format DVD et Blu-Ray, DC s'épanouit dans ce domaine.

 

Pour donner un nouveau souffle à sa franchise, le Century Fox relance son univers adapté des X-Men avec un nouveau casting, de nouveaux scénarios dès le film X-Men : Le Commencement (2011), réalisé par Matthew Vaughn où James McAvoy et Michael Fassbender reprennent les rôles autrefois tenus par Patrick Stewart et Ian McKellen - à savoir Le professeur Xavier et Magnéto -.

Entre temps, Marvel Studios, société fondée à l'initiative de la maison d'édition du même nom, acquiert les droits de la majeure partie des personnages de l'écurie Marvel, principalement ceux liés au groupe de super-héros les Avengers, et envisage de lancer sous forme de sériel, un univers cinématographique où plusieurs héros pourrait se côtoyer. Le succès du premier film produit, Iron Man de Jon Favreau sorti en 2008 avec Robert Downey Jr. dans le rôle-titre, confirme l'intérêt du public et enclenche la mise en place de ce vaste projet.

Aux alentours de 2012-2013, alors que Marvel atteint un point culminant dans l'exploitation de ses super-héros sur le grand écran avec le film Avengers de Joss Whedon, DC prépare la riposte, au cinéma et à la télévision avec le lancement de ses propres univers étendus. Nous aborderons cela un peu plus tard.

3. La transmédialité des super-héros

La transmédialité est un concept apparu aux débuts des années 2000. C’est le chercheur américain Henry Jenkins, spécialiste dans les nouveaux médias, qui a formulé ce principe. Il part du fait qu’avec l’essor de nombreux nouveaux supports de communication, le processus narratif d’une œuvre peut évoluer au-delà de son média initial, d’une manière autonome et qui lui est propre, tout en apportant des enrichissements au sein d’un univers narratif plus large, composé d’autres supports médiatiques. Cela fait partie de ce que Jenkins a baptisé la culture de la convergence.

Fort de cette définition, nous pouvons observer qu’en plusieurs décennies de productions, le genre super-héroïque a pu s’adapter sur de multiples supports comme le cinéma, la télévision, les plateformes en ligne de vidéos, et même les jeux vidéo.

a) Les jeux vidéo

Concernant ces derniers, nous les aborderons de manière non-exhaustive (du fait entre autres que je ne suis pas un grand « gamer » ou joueur), mais il ne faut pas les oublier.

En effet, avec les progrès amenés dans les graphismes et l’animation du gameplay - les temps où le joueur contrôle son personnage - jusqu’aux cinématiques - les passages vidéos qui racontent des temps de l’intrigue à la manière d’un film -, la dimension cinématographique dans l’immersion au sein des jeux vidéos devient de plus en plus présente.

De plus, si les jeux vidéo peuvent être qualifiés de « produits dérivés », pour la plupart, ils n’en demeurent pas moins des extensions narratives des univers qu’ils adaptent. Cela vaut pour les super-héros, bien sûr. Parmi les exemples les plus récents et dont les souvenirs restent profondément ancrés dans l'esprit des fans, nous pouvons citer la série des Batman Arkham, dont la franchise principale compte à ce jour 4 opus (Asylum, sorti en 2009, City, Origins et Knight).

Cette saga a entre autres été scénarisée par Paul Dini, créateur de la série animée pour la télévision Batman lancée en 1992. Du peu que j’ai pu observer, ces jeux conservent le ton sombre et l’écriture mature que le scénariste avait insufflé dans la série animée de 1992, et qui inspira par la suite les autres œuvres tirées des comics DC. Ces jeux proposent des scénarios originaux, qui ne reprennent pas trop sagement l’intrigue d’un ou plusieurs films.

Dans ce cas précis, je trouve intéressant de souligner un élément qui traduit la transmédialité : tout finit par se regrouper au sein d’un univers global. Ces jeux vidéo utilisent sur les personnages iconiques comme Batman ou le Joker les mêmes voix39 que celles dans la série animée de 1992 - écrite par Paul Dini - , à savoir Kevin Conroy, pour le premier, et Mark Hamill40, pour le second.

Il y a en ce sens une sorte d’extension par ce procédé. On peut aussi y voir comme un hommage, ou bien par égard envers le joueur/spectateur averti. C’est l’explication la plus plausible.

Il est d’ailleurs intéressant de noter que la jouabilité et le style de cette saga Batman Arkham a souvent été évoqué sur une scène de Batman v Superman : L’Aube de la justice. Pour replacer le contexte, c’est une scène de bagarre entre Batman et des hommes de main. Le Chevalier Noir vient sauver la mère adoptive de Superman dans un entrepôt. Cette scène arrive à la fin du film avant le climax final.

 

« - C’est vraiment une scène de baston... T’avais l’impression de voir les combos s’afficher à la Arkham Asylum [...]
- Il utilise ses gadgets de façon intelligente, c’est inclus, c’est fluide !
»

Seb et Fred, Critique - Batman V Superman, Youtube « Bazar du Grenier », 2016.

 

« La séquence de combat a été souvent comparée à celle des jeux vidéo Arkham, pour sa fluidité et la brutalité de ses impacts ! »


Links, 20 Bonnes scènes perdues dans de mauvais films, Youtube

« LinksTheSun », 2019.

 

Sans pouvoir les citer, je me rappelle à l’époque en avoir discuté avec des amis, qui avaient vu le film et partageaient le même ressenti à l’égard de cette scène.

Pour en finir avec les jeux vidéo, l’un des derniers produits en date issus des comics Marvel, Marvel's Spider-Man, sorti en 2018, propose à son tour une écriture et une animation graphique immersives, pensées comme un véritable film.

 

« Dans la grande tradition Marvel, les studios ont regardé ce que DC faisait de mieux, en ont pris le bon et ont rajouté du bon par-dessus. Spider-man [le jeu vidéo] a clairement pris des notes d’Arkham Asylum et City et a retenu les leçons de ces jeux, tant dans la lettre que dans l’esprit. [...] Mais ils n’ont pas bêtement copié. Une copie conforme donnerait juste un très bon jeu Batman mais un mauvais jeu Spider-Man. [...] Un jeu Spider-Man doit être plus nerveux, plus subtil, plus drôle, se reposer moins sur les gadgets... »

Links, 20 raisons de jouer à Spider-Man (PS4), Youtube « LinksTheSun », 2018.

 

Il s’agit d’une nouvelle porte d’entrée, pour tout joueur, dans l’univers du super-héros tisseur. À son tour, le joueur ne se cantonne pas à une simple prise de contrôle interactive de la trame d’un film ; il découvre un palimpseste qui vient compléter, voire réviser la mythologie du super-héros.

 

« Le jeu comprend tellement ce qu’est Spider-Man, en tant qu’entité si vous voulez, en tant qu’idée, qu’il se permet de modifier son histoire. »

Links, 20 raisons de jouer à Spider-Man (PS4), Youtube « LinksTheSun », 2018.

 

Par toutes ces petites décisions et ces choix artistiques dans l’univers des jeux vidéo, on assiste réellement à une démonstration du processus transmédiatique chez les super-héros.

b) Le doublage en France

Pour revenir à des supports moins « interactifs » et plus cinématographiques, il y a une dimension artistique qui offre au spectateur une identification et un point de repère, c’est le doublage français de ces différents médias.

Dans chaque film, chaque long-métrage d’animation, chaque série animée, arrive toujours ce temps de l’adaptation et de la traduction, pour qu’ils soient accessibles et compréhensibles dans la langue du pays où le média est distribué.

 

La distribution - ce terme est employé ici pour désigner le casting des voix - est affaire de choix, de décisions, de confiance et validée par la production du film. A titre d’exemple, les versions françaises des Star Wars ont été validées par George Lucas lui-même, selon Bernard Lanneau, voix française de Kevin Costner.

Il arrive certains cas où l’affiliation d’un comédien - de doublage - à un autre acteur, ou personnage, s’étend au-delà du support sur lequel il s’exerce.

À titre d’exemple, Jacques Ciron - âgé aujourd’hui de 93 ans - a pendant longtemps été la voix attitrée de Alfred Pennyworth, le majordome de Bruce Wayne, alias Batman, et ce, quel que soit le support.

Pour la petite histoire, Jacques Ciron a approché le personnage d’Alfred, pour la première fois, via le long-métrage réalisé par Burton, Batman, sorti en 1989. Alfred est incarné à l’écran par Michael Gough, rôle qu’il tiendra dans les 3 suites - Le Défi, Forever, et Robin -, Ciron assurant la post-synchronisation.

 

Entre temps en France arrive en 1992 la série animée Batman, réalisée par Bruce Timm et Paul Dini, où Jacques Ciron retrouve à nouveau le majordome britannique. Celui-ci n’est pas assuré en version originale par Michael Gough, mais par d’autres acteurs.

Étant donné la part d’importance non négligeable des comédiens de doublage dans la « passation d’œuvres » - pour citer Richard Darbois, voix française d’Harrison Ford et de Batman sur la série de évoquée -, en France comme à l’étranger bien sûr, il est toujours amusant de constater à quel point leur impact dépasse celui de l’écran de cinéma, ou de la télévision pour s’ancrer à jamais dans l’essence même de ces personnages cultes et reconnus.

Plus récemment, bien que la coïncidence dans le domaine des films et des super-héros - par extension - se soit faite rare, il est possible de présenter un cas similaire récent sur un personnage devenu culte et créé entre autre par Paul Dini pour la série animée Batman, Harley Quinn, la comparse délirante du Joker.

Ce personnage a pour la première fois enfin pris vie en chair et en os à travers les traits de l’actrice australienne Margot Robbie, dans le film Suicide Squad de David Ayer, sorti en 2016. Si le film fût loin de connaître un succès public et critique, il a en l’occurrence placé cette actrice dans la peau de ce personnage, rôle qu’elle a repris à l’occasion du film Birds of Prey de Cathy Yan en 2020.

Au cours de ces deux films, Margot Robbie a hérité de la voix de la comédienne Dorothée Pousséo, devenue depuis peu la voix officielle de l’actrice. En parallèle de la sortie du film Birds of Prey, DC Entertainment et Warner Bros. Animation ont produit une nouvelle série animée, Harley Quinn, pour la plateforme DC Universe lancée aux Etats-Unis en 2019.

 

La série est arrivée en France en 2020, et pour le coup, cette série d’animation ne partageant pas le même univers narratif que Suicide Squad et Birds of Prey a quand même mis à l’honneur Dorothée Pousséo dans le rôle d’Harley Quinn. Preuve est faite que l’affiliation à un personnage va parfois au-delà de l’acteur originel. Dans le genre super-héroïque, tout finit par se regrouper.

Un dernier cas notable qui dépasse la relation précédemment évoquée, se trouve dans la série Gotham créée par Bruno Heller en 2014. Au bout de 5 saisons, moyennant un petit saut dans le temps, la série Gotham, qui revenait sur les « origins stories » de tous les personnages emblématiques de l’univers du Chevalier Noir, offre enfin une apparition furtive de Batman dans le dernier épisode.

Cela nécessita un changement d’acteur car David Mazouz, qui incarna le jeune Bruce Wayne pendant 5 ans, venait juste d’avoir 17 ans et était alors encore trop jeune pour figurer un Batman endurci. Pour sa seule apparition masquée, le personnage trentenaire est incarné par l’acteur Mikhail Mudrik. Il allait de soi que la version française devait se plier à ce changement d'âge et c’est à Adrien Antoine - voix officielle de Batman depuis 15 ans dans les animés et les jeux vidéos - qu’il a été fait appel. Compte tenu de la faible présence à l’image de l’acteur américain, cela offre in fine au spectateur un sentiment de familiarité une fois de plus, sans forcément tenir compte d’une quelconque affiliation « personnage - acteur voix ». C'est là une preuve que le doublage dans le domaine des super-héros est important et profondément ancré dans l’esprit des spectateurs, au cinéma comme à la télévision.

On peut aussi noter un dernier exemple, un peu à contre-emploi : il concerne Kevin Conroy, reconnu aux Etats-Unis comme la voix de Batman dans les séries animées, une bonne partie des long-métrages d’animation et les jeux vidéo cités au début, qui a récemment pour la première fois incarné en chair et en os le personnage de Bruce Wayne à l’écran à l’occasion du crossover 2019 « Crisis on Infinite Earths » des séries télévisées du Arrowverse.

Mais si les super-héros ont pu dépasser leur support, c’est surtout par leur capacité d’adaptation, c’est-à-dire celle qui leur permet de tirer le meilleur des médias qui les exploitent.

c) Les supports animés

L’animation dans les séries ou les long-métrages a souvent permis de retranscrire au plus près l’esthétique évolutive des comics. Dernièrement, les tons de ces derniers, surtout chez DC, étant devenus plus « dark », les œuvres animées ne se sont pas privées d’afficher la violence et la brutalité dont faisait preuve le support papier. On est en droit de penser que la frontière entre l’image dessinée et l’image filmée - en live, comme on dit quand on parle avec des comédiens « de chair » - est ce qui facilite l’expression graphique spectaculaire, sans toutefois basculer dans le surplus, à mon sens.

Dès lors, cela peut conduire à une segmentation du public car les plus jeunes - et même les plus petits - s'en trouvent exclus afin d'être protégés en attendant d'avoir la maturité et le recul pour accéder à ces contenus.

La tonalité plus noire et plus sérieuse, plus mature, qui reste encore à ce jour la marque de fabrique des comics DC par rapport à Marvel, dans la bande-dessinée comme au cinéma, a été initiée dans l’animation par la série animée Batman.

Cette série réalisée par Bruce Timm et Paul Dini est sortie en 1992, soit peu de temps après les deux premiers films dirigés par Tim Burton. Ces deux opus avaient déjà donné un nouveau souffle, une nouvelle dimension dans les adaptations de comics. Il y avait néanmoins dans cette série, et plus tard chez ses héritières, Batman, Les Nouvelles Aventures, Superman, L’Ange de Métropolis, et La Ligue des Justiciers, une volonté d'édulcorer la plupart du temps la noirceur et la violence.

Dans les dernières OAV (Original Animation Vidéo) produites par DC Comics, la présence de sang et de violence est un choix délibéré. On ne peut pas omettre que l’influence des mangas japonais, dans les illustrations les plus violentes, y est pour quelque chose.

Sans l’essor du style graphique de ces derniers, dans leurs bandes-dessinées et leurs animés, il n’est pas certain que les séries et les long-métrages d’animation auraient suivi le même chemin.

Peut-être aussi, maintenant que les « fanbase » sont durablement et largement implantées dans la culture populaire des comics et du divertissement, il s’agit de lecteurs, et in extenso, de spectateurs avertis. Dès lors, les studios de production rattachés aux maisons d’édition doivent se sentir plus à leur aise pour proposer des contenus plus PG-13.

Parmi les productions récentes en animation, il est possible de citer les films du DCAMU - DC Animated Movie Universe - (cf. annexe 5). En effet, dans le dernier film et chapitre de cette saga, un exemple parmi d’autres, Justice League Dark : Apokolips War, de Matt Peters et Christina Sotta, sorti en 2020, la violence graphique - une quantité notable d’hémoglobine et de coups - est permise par le support animé.

Même en comparant à des films de Zack Snyder comme Batman v Superman, L’Aube de la justice (2016) ou, plus récemment, la Zack Snyder’s Justice League, sorti ce mois de mars de l’année 2021, qui possèdent tous deux des scènes graphiques soignées et à la lumière calculée, il y a une sensation édulcorée du fait du support cinéma.

Si les super-héros ont réussi à étendre leur rayonnement au cinéma, et au-delà, à travers de nombreux autres formats, c'est parce qu'ils ont su tirer parti de nouveaux supports développés pour les spectateurs. Ils ont profité d'un système économique industriel qui, malgré quelques doutes et ratages, a reconnu leur potentiel et leur a donné accès à des moyens techniques performants.

La capacité des super-héros à s'adapter et suivre les évolutions de la société occidentale passe par un renouveau constant dans leur écriture et les thèmes qu'ils abordent. Ils ont entre autres marqué un tournant dans l'écriture scénaristique.

@2021 Martin Bucci

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